Interview d’auteur Cloé Mehdi

Première publication du genre sur le blog, l’interview d’auteur.

Il s’agit de la retranscription de l’interview menée lors de ma rencontre avec Cloé Mehdi, auteure présente au Festival Thrillers de Gujan-Mestras.

Lors de cette manifestation, les membres du jury ont eu l’occasion de partager deux jours avec les auteurs en lice pour le Prix littéraire et de réaliser des interviews. Ayant eu une grosse préférence pour le livre de Cloé Mehdi, Rien ne se perd, j’ai souhaité la rencontrer afin de lui poser quelques questions.

Rendez-vous pris un dimanche après-midi dans une petite cabane ostréicole, micros en main pour moi et l’auteure, face à un petit public.


Félicitations Cloé Mehdi, votre deuxième roman Rien ne se perd fait partie du trio de tête de cette sélection littéraire pour ce Prix du festival Thrillers. Pour ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de vous découvrir, pouvez-vous me présenter brièvement votre parcours d’auteure ?

CM : Avec les éditions Le Masque, j’ai publié Monstres en cavales, en 2014. Avant ça, j’ai participé à des concours de nouvelles pour essayer de me faire un peu connaître (ça ne marchait pas du tout d’ailleurs) — je préviens les personnes qui voudraient se faire connaître comme ça, ça ne sert à rien. Ça rapporte de temps en temps confiance en soi et éventuellement un peu de tunes, mais rarement.

Votre roman, Rien ne se perd évoque au sens large l’injustice sociale à travers les yeux d’un enfant  dans un quartier qui tente de se reconstruire, faisant face à une société écrasante et à une justice à deux vitesses. Ce roman est principalement porté par vos personnages de Mattia, petit bonhomme de 11 ans, son tuteur Zé et sa compagne Gabrielle : ils semblent tous porter le poids du monde sur leurs épaules.

En quoi était-il important pour vous d’avoir pour narrateur un enfant si perspicace et d’exploiter des personnalités complexes, torturées et lumineuses à la fois ?

CM : Le choix de prendre un enfant, c’est parce qu’il s’agit d’un sujet assez casse-gueule : les violences policières, la justice en France, les violences psychiatriques, médicales. Et c’est très compliqué d’écrire là-dessus parce qu’on se fait rapidement taxer d’angélisme. Ça l’était d’autant plus l’époque, peut être un petit peu moins maintenant parce qu’il y a eu l’histoire de Théo notamment qui a vaguement dénoué certaines paroles. Mais ce n’était pas encore le cas quand j’ai écrit ce roman. J’ai pris le personnage d’un enfant parce que ça apporte un regard moins politique et plus dans la sensibilité, plus dans l’émotion et je trouve que c’est indispensable pour parler de sujet comme ça, aussi compliqué à aborder.

Dans Rien ne se perd, vous évoquez des thèmes forts : les violences policières, le suicide, la maladie mentale. Je suis en train de terminer votre 1er roman, Monstres en cavale et j’y retrouve une relation à la police exploitée sous un autre angle et ce même rapport à la psychiatrie. On sent presque à travers vos mots, les M.A.U.X de la société. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi ce sont des thèmes qui vous sont chers et qui vous inspire ?

CM : Il faudrait que je raconte un peu ma vie et je n’en ai pas forcément envie. Disons que c’est quelque chose que je connais de l’intérieur. Le polar met souvent en scène la police suivant le point de vue des policiers et quand il s’agit d’un autre point de vue, c’est celui d’un auteur donc on sent qu’il ne connaît pas forcément. Il connaît sûrement en ayant déjà rencontré des policiers, en parlant d’égal à égal.

Mais en tant que prévenu non. C’est clair et net, dans la plupart des romans, on sent qu’ils n’ont jamais connu cette situation, d’être prévenu, seul face à la police. Et là ce ne sont plus du tout les mêmes rapports, ce n’est pas la même relation d’égal à égal. Vous êtes face à quelqu’un qui vous écrase et j’avais envie de montrer ce versant là aussi. Parce que les personnes qui connaissent cette situation, on ne les prend pas au sérieux, car ce sont des voyous. Personnellement, je n’ai jamais été en prison, mais je connais des personnes qui y sont et si tu te plains des conditions de détention, on va te répondre que tu n’avais qu’à ne pas faire telle ou telle connerie. Ce sont des personnes qui ne sont pas du tout prises en compte.

Je vais citer Mattia à propos de Gabrielle : « elle joue le rôle de la maman de substitution en se confinant aux fourneaux, elle qui ne cuisine jamais. Elle pousse le vice au maximum en fredonnant un vieil air tout en posant une casserole sur le feu (…) Décidément, je crois que je vais passer régulièrement des appels anonymes aux services sociaux afin d’être traité comme un roi tous les jours ».

Je trouve votre plume délicate et percutante. Vous arrivez le tour de force de livrer un roman d’une profonde noirceur avec une écriture pourtant pleine de tendresse et d’ironie. Pouvez-vous me livrer certains de vos petits secrets d’auteure ?

CM : Je n’en ai pas du tout. Je ne sais pas quoi dire, à chaque roman j’écris différemment. C’est un peu instinctif, ça marche ou ça ne marche pas et le plus souvent ça ne marche pas honnêtement. Pour Rien ne se perd, ça a marché, mais c’est rare : j’entends dans le sens où ça produise un roman pas trop bancal, qui soit édité et qui marche auprès du public. Entre temps, j’ai réécrit des trucs que personne n’a voulus au niveau éditorial. Donc si j’avais des secrets, ça fonctionnerait tout le temps.

 Vous êtes au début de votre carrière d’auteure avec déjà deux publications à votre actif, dont Rien ne se perd, primé à plusieurs reprises. Comment vivez-vous cet engouement et quel est votre ressenti vis-à-vis de la critique littéraire ?

CM : C’est quelque chose d’assez paralysant, je n’ai presque pas réécrit depuis que Rien ne se perd a commencé à fonctionner. Parce que ça me donne l’impression d’avoir 50 personnes derrière moi quand je suis en train d’écrire, qui sont penchées et qui regardent ce que je fais. Ce ne sont presque que des critiques très positives, mais du coup, j’ai commencé à me poser plein de questions que je ne me posais absolument pas avant : là les gens ne vont pas aimer, c’est trop différent, et puis après bah oui, mais je ne vais pas refaire la même chose ça n’a aucun sens….

Je m’en remets petit à petit, mais ça fait deux ans qu’il est paru et je commence à peine à réécrire. C’est très déstabilisant, parce qu’entre ce qu’on a voulu dire entre guillemets et ce que les gens comprennent, on ne sait pas :  chacun comprend vraiment avec son propre point vu. C’est un lieu commun, on dit tout le temps ça, mais c’est flagrant de voir à quel point c’est vrai : les gens projettent leur propre truc dans l’histoire. Une fois qu’on sait ça, réécrire je trouve que ça devient plus difficile parce qu’on se demande à chaque fois comment les gens vont l’interpréter. C’est très intimidant.

Laissons de côté l’auteure, pour apercevoir la lectrice. Dites-moi quelle lectrice êtes-vous ?

CM : Cela dépend des périodes. Parfois, je lis beaucoup et quand je lis beaucoup, j’écris très peu : ça se contrebalance les deux. Je ne peux pas lire beaucoup et écrire beaucoup. Je ne sais pas pourquoi d’ailleurs, je sais qu’il y a pas mal d’auteur à qui ça fait ça. J’ai peu d’auteurs favoris, j’aime plus des romans que des auteurs : c’est assez rare que j’aime toute la bibliographie d’un auteur. Si c’est le cas, cela veut dire qu’il a fait la même chose à chaque fois et ce n’est pas très bon pour lui.

Je lis plutôt de la blanche, très peu de polars en fait, un peu de SF. Quand j’étais petite, je me suis beaucoup nourrie de fantasy, j’en ai fait une overdose, je ne m’approche plus de ce genre à moins de 100m. Et je n’en écrirais jamais non plus, je pense. Sinon pour citer un ou deux auteurs en ce moment, j’aime beaucoup Murakami, les deux Ryû Murakami et Haruki Murakami, ils sont absolument géniaux dans leur genre, et c’est vraiment incomparable à tout ce que j’ai pu lire d’autre.

S’il y a un roman qui a marqué votre vie de lectrice et que vous aimeriez me recommander, ce serait lequel et pourquoi ?

CM : La saga Malaussène parce que mes parents l’aimaient beaucoup et me l’ont fait découvrir très tôt. Je les ai relus à différents intervalles : j’ai commencé à les lire à 10 ans, puis à 13 ans, puis à 16 ans. J’ai vraiment grandi avec cette saga, à chaque fois avec un regard neuf dessus, car à chaque relecture je voyais et comprenais d’autres choses. J’admire beaucoup cette saga de Daniel Pennac, très connue, il arrive à dénoncer beaucoup de choses au niveau sociétal sans jamais tomber dans le cliché, ni dans le tragique, ni dans le manichéen.

Je trouve que c’est assez fort ce qu’il fait d’arriver à jongler tout le temps entre le rire et les larmes. Il parle beaucoup aussi des violences : il arrive à évoquer les violences policières et parfois, il a des personnages de flics très attachants, ce que moi je n’arrive pas du tout à faire. Je trouve ça vraiment très subtil, c’est un jeu d’équilibre super dur à faire : à la fois ça m’inspire en écriture, à la fois je trouve ça savoureux à lire.

Rien ne se perd a été mon coup de cœur dans cette sélection littéraire. Il me reste une centaine de pages pour Monstres en cavale. Rassurez-moi, vous avez de nouveaux projets littéraires à venir pour votre lectorat ? A quoi peut-on s’attendre ?

CM : Pour l’instant non. Tant qu’il n’y a pas un contrat signé, il n’y a pas de projet dont je puisse parler. Je suis en train d’écrire un truc, mais je ne sais pas du tout si je vais le terminer, si je vais essayer de le faire publier, car j’écris beaucoup pour moi aussi. La plupart des trucs que j’écris, je n’essaye pas de les faire publier ensuite.


Une première pour moi, tant sur l’exercice de la construction de ce style de questionnaire que sur le travail de la retranscription. Et j’avoue que je renouvellerai l’expérience avec plaisir si l’occasion se présente (malgré le stress du magnétophone qui pourrait ne pas fonctionner ?)

Je vous invite à découvrir l’écriture de Cloé Mehdi dans ses romans

Je remercie l’auteure pour sa gentillesse et sa disponibilité ainsi que tout le staff de la bibliothèque Michel Bézian pour l’organisation de ce Prix littéraire des lecteurs.

À très vite pour de nouvelles aventures ?

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